17 septembre 2025

Les macroalgues brunes : piliers écologiques et ressources de nos littoraux

Ascophylle

Une forêt sous-marine méconnue

Les macroalgues brunes, majoritairement regroupées dans la classe des Phaeophyceae, sont des algues marines visibles à l’œil nu. Observables principalement sur les rochers à marée basse, elles forment une composante essentielle des écosystèmes côtiers tempérés. Contrairement aux plantes terrestres, elles ne possèdent ni racines, ni tiges, ni feuilles. Elles se composent d’un crampon, d’un stipe et d’une fronde et absorbent directement l’eau, les sels minéraux et le gaz carbonique de la mer pour produire de l’oxygène et de la matière vivante grâce à la lumière du soleil.

Les côtes bretonnes, situées à la jonction biogéographique entre zones tempérées froides et tempérées chaudes(1), hébergent une coexistence exceptionnelle d’espèces aux affinités différentes(2,3).

Reconnaissables à leur teinte brun-olive et parfois à leur taille imposante, elles forment de véritables forêts sous-marines, jouant des rôles écologique, économique et culturel majeurs. En France, les macroalgues brunes les plus communes incluent le goémon noir (Ascophyllum nodosum), le fucus vésiculeux (Fucus vesiculosus), ou encore les grandes laminaires comme Laminaria digitata et Saccharina latissima.

Un écosystème clé de la bande côtière

Les macroalgues brunes forment un habitat structurant pour de nombreuses espèces : mollusques, crustacés, poissons juvéniles ou invertébrés s’y abritent, s’y nourrissent ou y déposent leurs œufs(4–7). Les grandes algues, comme les fucales et les laminaires, créent de vastes canopées qui offrent des zones favorables en tant que refuges pour les invertébrés benthiques, abris pour les poissons juvéniles, et substrat pour les algues épiphytes et les larves(8,9).

Au-delà de leur rôle d’habitat, ces canopées algales assurent une production primaire importante. La biomasse produite alimente directement les herbivores comme les patelles ou les littorines, et indirectement les filtreurs, déposivores* et bactéries décomposeuses ; une partie de cette matière organique s’accumule également dans les fonds marins, contribuant au stockage durable du carbone(10,11).

Physiquement, ces canopées réduisent la dessiccation et les variations thermiques(12,13) et peuvent également atténuer l’impact de la houle dans l’estran(14,15). Par leur présence, elles stabilisent les sédiments(6), limitent l’érosion des rivages et rendent les habitats plus stables et résilients face aux perturbations environnementales(15).

Un patrimoine naturel exploité depuis des siècles

L’exploitation des macroalgues brunes remonte à plusieurs siècles. En Bretagne, les populations littorales récoltaient traditionnellement le goémon pour en faire de l’engrais naturel riche en minéraux, fertilisant ainsi les terres agricoles(16). Cette pratique ancestrale, qui s’appuyait sur les ressources marines accessibles, est encore aujourd’hui présente dans certaines zones comme l’île de Molène(17), témoignant d’un savoir-faire local durable.

Au XXe siècle, avec le développement industriel, l’exploitation des macroalgues brunes s’est largement intensifiée. Ces algues sont devenues une source précieuse de composés bioactifs, notamment les alginates, des polysaccharides utilisés comme agents gélifiants et stabilisants(18). Les alginates extraits trouvent des applications variées dans les industries pharmaceutique, cosmétique et alimentaire, contribuant à la fabrication de médicaments, de crèmes, ainsi que de produits alimentaires comme les épaississants et les substituts de gélatine(18). Ce tournant industriel a renforcé l’importance économique des macroalgues tout en soulevant des enjeux liés à leur gestion durable.

Les macroalgues brunes fournissent par ailleurs une large gamme de services écosystémiques essentiels. On peut distinguer :

  • les services d’approvisionnement, tels que les ressources alimentaires, la biomasse et les molécules bioactives,
  • les services de régulation, notamment le stockage du carbone, la stabilisation des côtes et l’atténuation de l’érosion,
  • ainsi que les services culturels, incluant les paysages côtiers, les usages traditionnels, l’éducation et la richesse en biodiversité remarquable.

Cette valeur multifonctionnelle est aujourd’hui intégrée dans les politiques de conservation et de gestion durable(19).

Aujourd’hui encore, la France est l’un des rares pays d’Europe à posséder une filière structurée de récolte d’algues sauvages, avec des goémoniers professionnels, une réglementation stricte et des quotas de prélèvement(20).

Entre protection et innovation

Face aux pressions climatiques et anthropiques, les populations de macroalgues brunes subissent des modifications, tant en France qu’à l’échelle mondiale. Le réchauffement des eaux côtières entraîne une modification de leur répartition géographique : certaines espèces voient leur aire de présence se réduire dans les zones méridionales, tandis qu’elles progressent vers le nord ou vers des zones plus profondes où les températures restent favorables(21). Ces changements s’accompagnent parfois d’une régression locale marquée, liée à la fois à la hausse des températures, aux pollutions chimiques et organiques, à l’eutrophisation, ou encore aux perturbations physiques du littoral(22,23).

Parallèlement, la globalisation des échanges maritimes favorise l’introduction d’espèces exotiques envahissantes, telles que Sargassum muticum, originaire du Pacifique Nord-Ouest. Cette algue opportuniste colonise rapidement les habitats disponibles, entre en compétition avec les espèces locales pour la lumière et les nutriments, et peut modifier la structure des communautés intertidales(24).

Certaines macroalgues emblématiques, comme Fucus serratus, se révèlent particulièrement vulnérables : leur tolérance thermique limitée les rend sensibles aux épisodes de canicule marine(25), tandis que leur développement peut être freiné par la présence de polluants, comme les métaux lourds(26) par exemple, ou par l’eutrophisation, qui favorise la prolifération d’algues concurrentes et, combinée au réchauffement des eaux, provoque une forte diminution de biomasse(27).

Les macroalgues brunes suscitent un intérêt croissant en recherche et développement, avec des applications allant des biomatériaux et biocarburants à l’alimentation durable et aux agents antioxydants naturels. Partout en France, des projets associant pêcheurs, chercheurs et jeunes entreprises émergent pour développer une algoculture responsable, en mer comme en bassin(20,28–30).

Vers une gestion durable du littoral

La conservation des macroalgues brunes ne peut être dissociée d’une gestion intégrée du littoral, mêlant sciences, régulation, éducation et gouvernance locale. Ces algues sont à la fois des indicateurs précieux de la santé écologique et des ressources renouvelables, alliées face aux défis environnementaux. Elles servent notamment d’indicateurs de la qualité des masses d’eau(31,32) et sont intégrées aux dispositifs de surveillance écologique (DCE 2000(33)).

Leur suivi à long terme, notamment des genres Laminaria et Fucus, est assuré dans les parcs naturels marins comme celui d’Iroise(34). Ces programmes permettent d’observer les changements de distribution liés au changement climatique, ainsi que l’apparition d’espèces invasives telles que Sargassum muticum.

Ces enjeux sont pris en compte à travers la régulation stricte des prélèvements commerciaux (notamment par les goémoniers(35)), le développement de projets d’algoculture durable, ainsi que par des efforts de recherche appliquée menés par des institutions comme le CEVA. Des initiatives de sciences participatives, telles que BioLit ou Alamer, complètent ce dispositif en impliquant les citoyens dans la connaissance et la surveillance de ces écosystèmes.

Dans le cas de BioLit, la thématique Algues Brunes et Bigorneaux (ABB) propose un protocole scientifique précis, invitant les citoyens à observer et décrire les ceintures d’algues brunes, ainsi que les gastéropodes associés, le long de l’estran rocheux. Cette approche permet de collecter des données à grande échelle et de suivre l’évolution de la répartition de ces espèces et de l’état de santé des littoraux. Après 10 ans de collecte de données participatives, les premières analyses montrent que la composition des communautés de gastéropodes semble être surtout déterminée par les conditions environnementales locales à l’échelle du site, tandis qu’à plus large échelle, les apports élevés en nutriments et en matières en suspension tendraient à réduire la richesse et l’abondance des espèces communes(36). Les citoyens peuvent facilement participer et aider les scientifiques, en se rendant sur le littoral et en suivant la fiche protocole « Algues Brunes et Bigorneaux » disponible en ligne, puis en transmettant leurs observations sur le site de BioLit.

Conclusion

Les macroalgues brunes ne sont pas de simples végétaux marins   elles sont architectes, productrices, protectrices et nourricières, jouant un rôle central dans l’équilibre des milieux littoraux. Leur préservation et leur valorisation doivent s’inscrire dans une gestion écosystémique intégrée du littoral. Face aux défis du changement climatique et des pressions humaines, elles apparaissent comme des alliées stratégiques essentielles à la résilience et à la santé des écosystèmes marins, ainsi qu’à la préservation du patrimoine marin français.

Bibliographie

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4. Norderhaug, K. M., Christie, H., Fosså, J. H. & Fredriksen, S. fish–macrofauna interactions in a kelp (laminaria hyperborea ) forest. J. Mar. Biol. Assoc. U. K. 85, 1279–1286 (2005).

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14. Morris, R. L., Graham, T. D. J., Kelvin, J., Ghisalberti, M. & Swearer, S. E. Kelp beds as coastal protection: wave attenuation of Ecklonia radiata in a shallow coastal bay. Ann. Bot. mcz127 (2020) doi:10.1093/aob/mcz127.

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36. Serranito, B., Diméglio, T., Ysnel, F., Lizé, A. & Feunteun, E. Small- and large-scale processes including anthropogenic pressures as drivers of gastropod communities in the NE Atlantic coast: A citizen science based approach. Sci. Total Environ. 816, 151600 (2022).

*Déposivores : sont des organismes aquatiques qui se nourrissent de particules organiques, supports de bactéries et d’algues unicellulaires, présent sur et dans le sédiment

Autrice : E. Guémas

Crédit photo : (c)BioLit – Phil

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